La Réunion : le maloya
Notice
Reportage consacré au maloya, cette musique des esclaves de la Réunion, née dans les plantations des canne à sucre, qui fut longtemps interdite . A La Réunion, comme dans l'ensemble des territoires français, l'esclavage a été aboli en 1848. Mais les anciens esclaves et leurs descendants n'y ont gagné leurs droits qu'au fil des décennies. Et si la République leur a rendu la liberté, elle a aussi nié leur culture. Longtemps, les créoles noirs de l'île n'ont pu jouer cette musique. Celui qui battait le "rouleur", tambour local, était passible d'une amende. Le maloya n'a enfin été autorisé qu'en 1981. Depuis, les vieux musiciens de l'île ont ressorti "rouleur", kayamb et triangle. Le maloya est à la mode et Granmoun Lele, Firmin Viry ou Daniel Waro sont devenus des stars. Interdite il y a peu, la musique des anciens esclaves est même enseignée à l'école.
Éclairage
La famille de Gramoun Lélé fait partie des familles les plus célèbres de la tradition maloya.
C'est dans les servis kabaré, cérémonie en hommage aux ancêtres que Julien Phileas dit Gramoun Lélé – comme beaucoup d'autres maloyeurs – perpétue et chante le maloya.
Cette pratique, « croyance en des esprits du sol » [1] est héritée de Madagascar : d'après une légende Mahafaly, c'est à la suite d'une faute grave que les hommes devinrent « invisibles mais continuèrent à vivre à la manière des vivants. » Ainsi, pour les Réunionnais qui véhiculent ces croyances, leurs ancêtres continueraient à vivre et conserveraient indemnes certains attributs humains ; manger, boire et danser sont les activités que les ancêtres affectionnent particulièrement et pour lesquelles ils sollicitent leurs parents sur terre.
Les offrandes aux ancêtres se font le jour du servis kabaré. C'est donc dans ce cadre rituel que le maloya se perpétue. Le maloya est un préliminaire à l'honneur qu'on peut faire aux ancêtres en leur proposant de danser et de se servir du corps des vivants pour s'incarner et revivre un instant la danse. C'est ce qui fait dire à beaucoup de personnes qui n'ont jamais fréquenté ces servis kabaré que le maloya « c'est de la sorcellerie ». Les stigmatisations de ces rituels sont le résultat des pratiques et discours de diabolisation opérés par la religion catholique dans les colonies qui, au nom de la sorcellerie, a aboli tous les cultes non foncièrement catholiques tels les cultes indiens avec la célèbre marche sur le feu mais surtout les servis kabaré. Le maloya résonnait alors comme une danse du diable qui n'avait pas droit de cité dans l'espace public. Ce qui lui valait notamment son caractère officieusement interdit jusqu'en 1981.
De plus, cette pratique héritée des esclaves se posait comme le témoin d'un passé dont le gouvernement français ne pouvait s'enorgueillir dans une époque de décolonisation et de révolte sociale.
Les années qui ont suivi la départementalisation des colonies françaises en 1946 voient émerger des revendications sociales et culturelles d'une jeunesse réunionnaise à qui l'on somme d'oublier son passé, sa culture. L'heure est à l'assimilation française. En réaction à cette politique de déculturation, des militants culturels tels que Danyel Waro, le groupe Ziskakan et son leader Gilbert Pounia, se sont mobilisés par leur musique et textes engagés contre l'oppression culturelle. C'est aussi cette époque et dans le sillage du parti communiste que le premier disque vinyle de maloya est publié en 1975 par Firmin Viry, autre figure emblématique du maloya.
À côté de ces acteurs culturels pro-maloya se crée un mouvement qui contribue à une folklorisation du maloya à travers le groupe kaloupilé qui donne à voir une version qualifiée d'édulcorée du maloya. Ils ont voyagé à travers l'Europe pour montrer cette version très fleurie du maloya [2]. C'est de cette époque qu'est née la qualification de maloya toupi caractérisant la manière qu'ont les danseuses de tourner très rapidement sur elles-mêmes telle une toupie.
[1] F.D. Champion. Le mariage des cultures à l'Île de la Réunion. Éd. Karthala. 2008.
[2] Marie Claude Lui Van Shang. Maloya les racines de la liberté. Ciné horizon. 1998